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  • Thibault Randoin

La Grande Traversée du Jura, nostalgie et pensées sauvages

Traverser une région à vélo, c’est tracer sur la carte un trait presque droit entre le départ et l’arrivée afin d’en faire un itinéraire suffisamment direct pour ne pas transformer cela en tourisme, mais assez sinueux pour y puiser la quintessence du territoire. C’est filer au travers des paysages changeants à la vitesse d’un cycliste qui prend le temps de s’infuser dans son milieu. Puis le soir venu, une fois vidé par l’effort, il s’agit de garder cette journée en soi comme un souvenir qui ne se reproduira plus, car oui, c’est un aller sans retour, c’est une traversée à sens unique et l'étape du lendemain sera forcément différente. C’est ce que j’ai fait pendant cinq jours sur la Grande Traversée du Jura pour y trouver la découverte et la nostalgie de certains lieux connus il y à longtemps.


Je suis donc monté sur ma bicyclette en ce jour de fête nationale et j’ai décidé de prendre la route, de larguer les amarres et d’occuper un territoire. Cela durera 5 jours et ainsi, à l’issue de ce coup de stylo sur l'atlas, je serai passé du Doubs, de Montbéliard précisément, à l’Ain, quasi sur la grève du lac du Bourget, après 380 kilomètres, 9000 mètres de dénivelé positif et autant de négatif. Voilà une belle promesse qu’il s’agit maintenant d’honorer et pour cela il va falloir se mettre en mouvement, faire tourner le pédalier pour gagner les kilomètres. Je trouve d’ailleurs ce verbe assez juste: gagner. En effet, la victoire sur l’unité kilométrique est tantôt facile lorsque la pente est descendante, il s’agirait là d'ailleurs plutôt d’un cadeau, tantôt ardue quand c’est un sommet que l’on vise plutôt qu’un fond de vallée.

Me voilà lancé sur les premiers chemins du Doubs, pentes débonnaires et molles collines boisées sont les paysages du premier jour. À ce même moment, le sentiment de partir au devant d’ennuis me traverse l’esprit. Pire, c'est un peu cette sensation de grimper sans corde qui m’agite et qui fait probablement aussi le sel du voyage en solitaire. Mais que ferais-je si je suis victime d’une panne mécanique irréparable, là, seul, une fois à plusieurs jours de ma voiture ? Probablement comme si nous étions deux, je chercherais des solutions, et j’en trouverais car nous sommes dans un monde moderne où tout est disponible à portée de main, facile, et je pense à cet instant aux “vrais”, à ceux qui partent loin et longtemps avec comme seul remède à l'imprévu espoir et insouciance. Je me compare à eux et vite je tente d’occulter ces pensées néfastes et bien trop vertigineuses. Après ces instants instables, l’horizon s’ouvre sur un joli voyage, sur cette perspective de densification du temps qu’offre le mouvement dans l’espace. Cinq jours vont en paraître cent car la somme de ce que mes yeux vont voir, de ce que mes sens vont recevoir et de ce que mon esprit va mouliner sera inévitablement plus dense qu’une semaine dans l’autre monde, celui du quotidien et de la routine. Et puis quoi, le premier jour, le physique est intact, l’esprit indemne, alors roule et bat les chemins comme s'ils les méritaient.

Le soir, à l’heure des comptes, c’est un peu plus de quatre vingt kilomètres qui sont dans la besace et cela peut paraître un peu terre à terre, mais bon sang qu’il est bon d’avoir le sentiment que la journée aura permis d’avancer ! Ces petits chiffres ne sont rien et pourtant ils représentent le décompte de l'énergie physique qu’il reste à déployer pour arriver au bout. Les statistiques, l'anti-poésie au service de la gestion humaine et de ses ressources.


Jour deux, mauvaise nuit de bivouac. Moi qui croyais être ennuyé par les vaches et leurs clarines, je me suis rendu compte qu’elles aussi se couchent quand la nuit tombe. C’est là que le froid se lève. Oh non pas le grand froid de l’hiver, la simple fraicheur qui refroidit la chair de celui qui persiste à dormir en hamac. Parfaite illustration de la passoire thermique, le dos est en permanence au froid, sans compter cette forme de banane qui interdit la position en chien de fusil et qui endolorie les jambes. Réflexion faite, c’est le parfait outil pour la sieste, le pire pour la nuit, manque de discernement au moment du choix du matériel et il reste trois nuits de bivouac mais pas ce soir. Pour cette deuxième soirée je renoue avec le confort aussi vite que je l’ai quitté, je dors chez mon vieil ami d'école qui en plus d'être un hôte merveilleux et un parfait trublion, a le très bon goût d’habiter à cent mètres de mon itinéraire et qui plus est à la parfaite fin de mon étape après presque quatre-vingt dix kilomètres de chemin. Cette étape justement marque l’arrivée dans le haut Jura. Il a fallu abattre trente kilomètres avant de déjeuner à Morteau ce jour là, puis poursuivre l’avancée au travers des collines du Doubs, puis Pontarlier, et enfin passer devant quelques forts, vestiges des temps jadis ou les loups auraient certainement plus troublés la quiétude de mes nuits sans lune que le froid du hamac. À partir de la Cluses-Mijoux, il faut monter longtemps, d’abord sur une route puis dans les chemins pour gagner les alpages et retrouver la musique des clarines, ingrédient principal à la confection du Comté évidemment. Ensuite et pour finir, c’est un avant goût des futures étapes, les plaines d’altitudes verdoyantes et cette herbe grasse à perte de vue avant d’arriver à Metabief, mon lieu de villégiature. Cette journée fut le fruit d’un constat récurrent, je suis long à l’adaptation. Parachutez moi en Asie Centrale d’un coup d’avion comme ce fut le cas l’année dernière et il me faut un ou deux jours pour accuser le coup du changement de mode de vie, de la déconnexion complète et l’acceptation de cette nouvelle culture. Dans le Jura, il me faut aussi deux jours pour réellement quitter mes habitudes, et surtout profiter de l’instant présent. Ces premières quarante huit heures sont trop souvent moroses, mélancoliques même, en proie au désespoir face à l’effort physique qu’il reste à livrer et à la solitude qu’il faut apprivoiser avant qu’elle n'élève à cette plénitude presque planante. Je songe bien trop souvent encore à la fin du voyage, à la délivrance pour parvenir à jouir de l’instant présent et ce n’est pas ce que je recherche. Moi je veux apprécier la boisson avant de connaître l’ivresse mais le cerveau me semble ainsi fait, à la recherche de la récompense avant l’effort. Le débourrage de l’esprit qui renaît en voyage, comme celui du jeune cheval, est pour moi un passage obligé, et pourtant chaque nouvelle occasion de lever le camp de la vie quotidienne est à saisir. Le risque serait de ne plus partir de peur de ce changement d'état. Le voyage est un monde qui ne se construit pas en deux coups de pédales.


L'étape trois est majeure dans ce voyage, charnière même. Elle est agréable, rapide, roulante sur ces pistes au travers des forêts d'épicéas infinis qui sont l’hiver dédiées au ski de fond. C’est le genre d’itinéraire typique de cette région qui fait naître les champions du biathlon à grands renforts de neiges froides, d'entraînements sans fins et de grands froids hivernaux qui n’en ont pas plus. Je passe à Mouthe, ce nom qui semble sortir du quaternaire et qui garde encore le record de la plus basse température enregistrée en France avec -41° à l’hiver 1985. De temps en temps, la sylve s’ouvre sur des vallons creux qui recueillent quelques lacs en leurs fonds. Ces taches bleues dans le vert de l’alpage semblent vouées à s’enfoncer inexorablement dans les terres jusqu'à devenir marais puis déserts à des échéances que j’aimerais ne pas connaître.

Arrivé aux Rousses, je descends “la montée de l’opticien” qui me rappelle ma condition et mes études car je gagne ce soir des paysages connus à quelques kilomètres de Morez où j’ai passé deux ans il y a une dizaine d’années Voilà de quoi se morfondre sur le temps qui s’enfuit. Arrivé là, je ne pouvais pas faire autrement que de viser le sommet de la Dôle pour installer mon bivouac, cette fabuleuse montagne qui fut mon repère, mon échappatoire de toute saison à l'époque ou j'habitais là. Derrière ses modestes 1600 mètres d’altitude et son faible dénivelé pour atteindre le sommet, elle offre la plus belle des surprises. Je me souviens de ma première ascension en 2009, pas bien heureux d’avoir atterri loin de chez moi en ce début d’année scolaire, équipé d’un esprit étroit et d’une vision de la vie tournée vers son chez soi. C'était affecté par ces bassesses de la jeunesse que je partais en quête d’une timide découverte de mon nouvel environnement. Je finis par apercevoir cette montagne surmontée de cette sphère blanche. Je décide de me chausser pour aller voir là haut. Je monte, j’admire la vue côté Jura, saoulé par l’océan de conifères qui ondule à perte de vue vers l’ouest comme le fait l’Atlantique jusqu’aux Amériques. J’ai même failli ne pas jeter un œil de l’autre côté de la crête. Puis, par acquis de conscience, je passe à l’Est et là c’est le choc, le coup de foudre, ce panorama encore jamais aperçu. Le massif du Mont Blanc qui s’offre là, dans son ensemble, enflamé par la lumière du soir, et entre nous le lac Leman, immense, bleu marine, au croissant si infini qu’on n’en distingue pas le bout. Depuis cet instant, j’y suis retourné souvent et une nouvelle fois pendant cette traversée presque treize ans plus tard. Voir le Mont Blanc aujourd’hui depuis mon bivouac, depuis ce petit sommet du Jura me fait quelque chose. À l'époque, je m’étais promis d’aller un jour au sommet de ce géant blanc, toit de l’Europe, par simple attrait de l'esthétique et du défi. Je n’avais pas encore saisi le mythe et la légende, je n’avais pas encore lu Frison-Roche et vu ces glaciers de prêt. Aujourd’hui voilà que tout cela est fait et ma soif de sommet est toujours intacte, plus grande même. Finalement peut-être suis-je là à l’endroit de la genèse de ces passions qui m’animent aujourd’hui, peut-être suis-je là sur un de mes hauts lieux personnels. Il est probablement inutile à ce stade de préciser qu’il s’agit donc du plus beau bivouac du voyage. J’ai délaissé le hamac ce soir, faute d’arbre mais aussi de la nuit fraîche qui s’annonce. Je choisis de dormir sur le toit en tôle plate d’un refuge de secours fermé à clé, la seule surface plane des environs. Plane mais raide sans matelas, contraste entre le spectacle du coucher de soleil irréel et ce triste état de l’homme moderne englué dans le confort du quotidien, inadapté aux rudesses de la vie dehors. La nuit est maintenant suffisamment noire, je m’installe comme je peux sur ce toit, je m'emmitoufle et une fois bien j’ouvre les yeux, immobile face à la voie lactée et je souris. Je repense à la veille au soir lorsque j’ai éteint la lumière dans la chambre de la fille de mon ami et que se sont mises à briller les étoiles autocollantes au plafond. Ce soir il y en a plus. Il y aussi quelques constellations au sol, sous mes pieds. Genève, Evian, Thonon, Lausanne forment quelques galaxies reliées par des étoiles filantes nommées voitures. Je me demande à cet instant s'il faut regarder les lumières du ciel ou de la terre. À cette question il y a deux réponses. Celle de la raison, observer la ville et le paysage terrestre qui demain sera différent car je ne serais plus là pour le voir, et celle du cœur qui pousse à observer cet infini, ce cosmos incompréhensible, ce spectacle gratuit et grandiose. Voilà un tiraillement notoirement philosophique au fond. Regarder les hommes, cette espèce se débattre dans le monde en bas alors qu’au sommet de la montagne on ne se sent déjà plus tellement de ce groupe, où observer l’impossible, l'inaccessible pour la simple beauté du spectacle ou pour chercher les solutions aux équations de l’existence uniquement grâce à ce formidable pouvoir d'apaisement et d’inspiration qu’offre l’espace sur le cerveau. Le cosmos, ce connecteur synaptique.


Jour quatre, même topo. Les chemins défilent aux travers des villages nordiques du haut-jura, les flèches oranges “GTJ” me guident au travers de la campagne Franc-Comtoise et je chatouille les pieds des grandes montagnes vertes qui offrent un balcon sur les Alpes. La pente, souvent montante depuis le départ, finit par décliner pour se déverser en direction du fond de vallée qui accueille la fameuse autoroute blanche proche de Nantua. N’ayant pas envie de goûter à la vie sous les ponts, je m'arrête et m’installe pour la nuit sur les dernières pentes du massif, dans une sapinière qui m’offre un sol souple en guise de lit et la musique de la forêt pour comptine nocturne. Je m’endors avec cette idée que demain sera mon dernier jour, entre soulagement et tristesse.

Dernière étape, d’une part l’euphorie d’une fin certaine et de l’autre de grosses côtes qui calment ma joie. Il s’agit de finir la descente entamée hier, passer dans la vallée étroite en espérant y trouver une boulangerie ouverte pour s’y ravitailler en eau et en nourriture avant de remonter sur le plateau du Retord qui ne le fut pas tant que ça. Une dizaine de kilomètres suffisent à se hisser là haut, suivis de vingt autres à onduler tranquillement pour arriver à la “station” de Cuvery qui n’est en réalité que deux granges disposées chacune d’un côté de la route, une pour le matériel de ski de fond et la dameuse, l’autre où se situe un restaurant qui me permet de manger une glace en guise de dessert après mon sandwich au bleu de Gex : consommation local.

Pour l'apogée de ce périple, il faut grimper le col du Grand Colombier par les chemins et une fois en haut il ne reste plus que dix kilomètres de descente. Je dois dire que j’aime ce genre de fin. Atteindre le plus haut sommet du voyage et sentir le double soulagement du haut de la côte et l’arrivée, la fin de l’effort, la descente n'étant qu’une formalité. Et je suis à cette espèce d'extrémité globale, au plus haut, au plus loin et c’est terminé. Je ne réalise pas trop. La fête n’est que dans ma tête, autour de moi quelques touristes montés en voiture qui n’ont aucune idée d'où je viens. C’est une arrivée en sobriété d’autant que je sais tout de même qu’il reste une nuit de bivouac et que demain il va falloir monter dans des trains, réintégrer l’univers moderne et rapide qui semble bien loin de mes considérations des cinq jours passés.


Néanmoins je vis cette fin comme un soulagement, une satisfaction d’en terminer et je songe que cet état, derrière ses contours joyeux cache une triste réalité. Si c’est si heureux d’en finir, cela veut dire que le seul but de l’aventure est son terme et que le voyage en lui-même n’a que peu compté. Que c’est trop heureux que nous retournons nous vautrer dans le confort de la routine, et dans le luxe de la modernité. Cela signifie que le vagabondage, l’effort physique, la solitude sont des états supportables qu’un temps. Alors quoi, faut-il être touché par la grâce d’Ulysse ou de Kerouac pour faire de sa vie un voyage ? Voilà un axe de conclusion bien pessimiste d’un voyage qui fut heureux. Et bien sûr c’est un point de vue que je pourrais moi même contredire très facilement avec la moisson de bon souvenirs, de rencontres, d’odeurs, de sentiments et de pensées qui m’ont habité pendant cette semaine. Mais l'itinérance est ainsi faite, de hauts et de bas. De bas bien bas pour que les hauts soient bien hauts. Ainsi va la vie de celui qui décide de goûter au monde dans ses grandes largeurs.






Le clin d'œil à Julbo


Comment passer dans le Jura et ne pas penser aux lunettes que l'on porte ? De mon coté il s'agit des Julbo Ultimate à ma vue, modèle phare de la marque Jurassienne implantée à quelques kilomètres de la trace de la GTJ ! J'ai opté pour les verres photochromiques qui se teintes en fonction de la luminosité afin de les porter toute la journée sans me poser de questions. Ce n'est plus une surprise, j'ai adopté ces lunettes pour le VTT et pour le Trail. Vous avez envie de découvrir la gamme Julbo ? Rendez vous en magasin à Cournon ou à Riom !

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